Contributions

par Martin Vonlanthen

Qu’il me paraît difficile d’expurger le mal-aise des automatismes, auxquels on semble parfois pouvoir s’habituer avec un moindre désagrément sous leur formes institutionnelles, humaines, incarnées bien que systématisées. Je me demande si cela tient au fait d’avoir comme support à nos volontés esthétiques, morales, éthiques, des visages, tantôt complices dans le silence, tantôt vilainement assimilés par ces forces surhumaines.

À l’antipode, des codes qui acheminent nos pensées sans rancune, s’agglutinent selon des paramètres que les codeurs eux-mêmes ne savent pas tout à fait analyser ; quand bien même l’un est à l’image de l’autre.

Ainsi les automatismes technologiques, passent aisément pour des organismes à part entière (de même que nos bétails et nous même sommes en interdépendances) mais reste l’impression paradoxale qu’ils sont sous contrôle, alors qu’au fond un contrôle nécessite bien quelque outillage informatique (au sens large) pour au moins prétendre à sa neutralité.

Nos créations, c’est à dire, l’image qu’on a de nous même ainsi que le médium par laquelle elle passe, se parallélisent avec les spécificités du désir de chacun, pour s’orienter doucement vers des situations profitables à un « bien commun » que l’on peine de plus en plus à penser sans assise quantifiée et c’est là la marque de notre dépendance à de tels systèmes de mesure. Qu’ensuite les algorithmes mis en place nous confortent dans le sens que l’on a de nous-même, ne fait qu’amplifier nos diversités formelles car c’est tout ce à quoi du machinal a accès, tandis que nos désirs dans leur fond ne subissent pas de transformation si nouvelles, étant toujours une affaire organique. On peut bien-sûr désirer mécaniquement, c’est même indispensable à condition d’être artisan de ses intuitions or notre organisme réclame d’être en concert avec l’environnement présent, ainsi l’on se dispose à participer des potentiels avenants qui nous entourent.

Or pour les humains n’est-il pas donné que l’on veuille s’environner jusqu’à s’imprégner des compresseurs qu’on invente? Pendant une période il peut s’agir du compresseur énergie-matière, et espace-temps de Einstein, en ce qui concerne le désir c’est le même compresseur à perspective chez Picasso, et le même compresseur à espace harmonique chez Schönberg.

Pourquoi parler de compression? Et bien malgré une destruction des choses jusqu’à leurs données, inéluctablement un caractère d’un esprit de l’époque se préserva en continuité et ce en dépit des corps par lesquels il s’exprima, et lorsqu’on se sent perdre “de vue” cet esprit c’est que l’ensemble des stimuli par lequel on le reconnaît a développé une accoutumance telle qu’il passe en toile de fond, et le caractère se fait alors incorporer et devient part du réel et de l’indispensable au prochain coup dont on sculpterait nos intuitions.

En ce qui nous concerne, il faudrait donc déjà comprendre dans quel programme on s’engage ce qui exige d’en sortir un moment, faire remonter à la surface ce qu’un lexique virtuel des choses permet ou interdit et ce en quoi l’esprit singulier qui nous anime tous (quasiment) peut passer, car en ceci je crois.

On verra plus clairement à quelle part de l’édifice commun on s’imagine respectivement attribuables, quelles facettes on peut en jouer, une fois nos coordonnées rendues transparentes par l’absence de régulation de ce lexique.

En effet il y a bien des substances produites par les organes d’un corps qui sont toxiques à d’autres zones de ce même corps, or la numérisation de nos présences matérielles prenant de plus en plus de masse, il faudra bien qu’on trouve une façon de nous emparer des transformations de fond qui découlent cette fois de nos relations via ces média au-delà de ce qui est propre à leurs canaux si on veut que les profils féconds de ce Zeitgeist fassent germer un avenir dont la diversité est en cohésion. Moi-même j’ai encore bien des toxines à évacuer.

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