Contributions

Au sujet d’une confiance en votre Chaos

par Martin Vonlanthen

Ce que j’appelle votre Chaos, je doute que vous ne puissiez jamais l’apprécier dans sa totalité, puisque par définition sa nature est de ne garder régularité que dans la proportion de ses irrégularités (cf. Mandelbrot). En effet il y siège, comme dans tout désordre, des structures, des modèles et des coïncidences qui toujours se parasiteront les uns les autres - vos principes, vos convictions, votre “soi” à l’envers de tous vos doutes, n’en sont que des productions hasardeuses. Idem pour la mélodie que vous me prêtez, et le sens profond que vous devinez peut-être par cette lecture.

En surface les problématiques de notre génération s’expriment souvent sous le signe de l’information, des fake news / propagandes, des politiques identitaires où l’on devrait théoriquement connaître la totalité des variables, de manière quantitative, pour pouvoir dire ne serait-ce qu’une maigre vérité qui permettrait d’avancer un peu… Si toutefois vous sentez en vous une certitude vis-à-vis de ce genre de convictions j’aimerais alors seulement vous demander si vous interagissez encore de façon aisée d’une part avec les sujets/objets de cette conviction (femmes*, LGBT+, ethnies, etc.) et d’autre part avec ceux qui ne les tiennent pas encore, ou les développent dans une toute autre direction?

Pour moi tout ça n’est qu’un jeu (de monopolitesse) qui, je crois, nous distraits de l’essentiel dans nos vies, tout comme le “démon” distrayait un Laplace ou réduisait un Socrate à l’humilité du silence scriptural. Et l’on paye dans notre existence, de manière qualitative/subjective et donc inestimable, de ne pouvoir rire de notre grotesque horreure. Joviales les cyniques dansent avec/et/ou dans ce démon idéal, se moquant bien de notre incomplétude d’humains, parachutés dans la grandeur du Zeitgeist.

Et ce qu’on paye dans notre existence, toutes ces rancunes, au fond, finissent bien un jour par se déverser au dehors (dans un excès de zèle peut-être) à l’ouïe de tous ceux qui se savent inouïs, et qui tombent alors encore plus profondément dans un dédain du verbiage et un mutisme emprunt d’une immense sagesse laquelle ne nous est prodiguée que sous certaines conditions: une fois qu’on leur fait preuve dans notre posture, dans notre aise, dans notre vécu, que nous nous connaissons suffisamment bien nous-mêmes, tares et narcisses, pour ne pas nous chercher à travers eux. Des sages à la Socrate donc, mais je pense à l’instant au shlags que je croise à la gare et qui m’apprennent encore quotidiennement à vivre mieux, par-delà la possibilité d’un terrain d’entente sur des questions de misogynie, de racisme, d’homophobie, ou encore de paupérisme.

Ainsi, au sujet de cette anarchie qui parle en vous: ne vous embêtez pas plus qu’il vous semble utile, à y chercher réponse, ni même une formulation adéquate de questions pertinentes (cela présuppose après tout d’autres réponses certaines). Vivez de ce vide, de cet appel d’air qui attise votre feu, couche d’ombres dans vos crânes merveilleusement caverneux, et peut-être qu’un jour un ermite, qui lui aura su sortir de sa caverne, verra que vous pouvez l’entendre, silence compris… Il parlera des premiers arbres qu’il a vus et vous lui parlerez des vôtres et vous verrez que ce sont les ombres qui sont les plus dures, or aussi les plus belles à faire jaillir dans l’imaginaire. Soyez donc un peu hippocratiques plutôt qu’hypocrites. Votre ego n’est qu’un ergot qui pousse sur un champ de cogito et on a trop souvent le réflex de ne le voir que dans notre corps et de lui attribuer alors des pulsions vers l’en-dehors alors qu’on peut aussi penser l’ego comme notre regard sur le monde. Ce regard à l’instar du corps, est propre à chacun, et porte donc tout autant le potentiel d’une identité que d’une personnification solaire et là, plutôt que des rapports de pulsions, on sent une fluidité invasive, qui si quand on y est consentant, donne à son caractère diluvien la promesse du démiurge.

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