Contributions

Dimanche

par Léa Claivaz

Elle se réveille en sursaut, pensant être en retard. Seule la pénombre de sa chambre l’étreint. La lumière de son téléphone lui brûle la rétine, mais elle entrevoit l’heure. Il est six heures trente-trois. Son cœur s’emballe, elle est désorientée. La peur de ne pas arriver à temps l’asphyxie, jusqu’à ce qu’elle réalise qu’il est dimanche. Elle se détend aussitôt. Ses draps l’enlacent, puis le sommeil la saisit.

Quelques heures plus tard, ses yeux s’ouvrent à nouveau. Elle ne sait pas combien de temps elle s’est rendormie, mais à présent elle se sent reposée. C’est dimanche, elle est heureuse. Après la semaine tempétueuse qu’elle a traversée, avoir du temps à se consacrer ne peut que la réjouir. Elle décide de faire un café, afin de commencer la journée décemment. Puis, un élan de folie la pousse à couler un bain. L’esprit ailleurs, elle sirote son café dans sa baignoire. Le parfum de la boisson couplée à l’odeur du savon, le soleil froid de l’automne traversant la fenêtre embuée, elle est seule, mais se sent bien. Elle compte bien déguster la tranquillité que lui offre le dimanche.

Lorsque son bain décide de ne plus l’envelopper dans ses bras chaleureux et que la salle de bain est emplie de brume, elle s’éclipse. Son estomac gargouille, il est presque treize heures. Le temps s’écoule sans qu’elle s’en aperçoive. C’est dimanche. Elle s’habille dans sa chambre, ses cheveux sont encore trempés, mais elle décide de les laisser sécher naturellement. Rien ne presse.

Sa sonnette retentit, elle sursaute, a-t-elle oublié un rendez-vous ? Pourtant, personne ne doit briser son rituel dominical. Elle se hâte vers l’entrée. Elle ouvre la porte, c’est sa voisine qui lui apporte un repas. Elle est gentille, sa voisine, une petite dame âgée qui l’a prise sous son aile. Elles se disent quelques mots, puis la petite dame s’en va. Elle ne mange jamais les plats mijotés par cette dernière, même s’ils sont probablement préparés avec beaucoup d’amour, elle ne prend pas le risque de finir intoxiquée. C’est dimanche, elle veut s’en délecter.

Quatorze heures, son frigo est vide. Comme elle habite dans une petite ville, tous les magasins sont fermés excepté l’épicerie qui se trouve proche de la gare. Elle décide d’y aller, même si elle appréhende. Elle n’a pas le choix, son estomac crie famine et elle n’a rien d’appétissant à se mettre sous la dent. Elle attache ses cheveux humides en tresses, puis elle passe son manteau par-dessus son training. C’est dimanche, il n’est pas nécessaire de s’apprêter. Elle enfile ses baskets et se dirige dans la rue. Les trottoirs de sa ville sont vides et y gisent des feuilles aux couleurs automnales. Quelques voitures la dépassent, le bourg est calme, mais elle sent sa gorge se nouer. Arrivée devant l’épicerie, elle voit la foule. C’est dimanche, personne n’a rien dans son frigo. Elle y entre, les gens fourmillent. L’effroi sillonne le long de sa colonne vertébrale. Elle ne se souvient plus de ce qu’elle devait acheter. Son cœur bat dans son crâne. Son estomac qui était vide est maintenant noué. Elle réfléchit, ses pensées s’entremêlent. Elle se contente d’acheter des produits usuels. Elle s’efforce de paraître normale, mais la peur de passer pour une aliénée la hante. Les larmes montent, mais elle les retient. Elle esquisse des sourires forcés aux habitants. Sa poitrine la poignarde. Elle se tapit, espérant ne rencontrer personne. Rester au milieu de la cohue n’est pas soutenable. Ses poings sont serrés si forts que ses ongles la charcutent. Ses dents grincent. Elle accélère le pas. Elle parvient enfin à la caisse. Elle attend nerveusement, tout en essayant de dissimuler son état. Vient son tour de payer, tremblotante, elle tend la monnaie au vendeur. De la sueur froide ruisselle le long de son dos, elle veut fuir cet endroit qui la tétanise.

Le tourment se dissipe, elle s’en va regagner la tranquillité que son modeste appartement lui octroie. Sa faim a disparu, son angoisse s’en est nourrie. Elle se trouve dans un état second. Bien qu’elle n’ait pas trouvé la raison de ses émois, elle est habituée à cette routine anxiogène que lui procurent les attroupements citadins. Elle décide de boire un thé, avant de s’effondrer dans la douceur de ces draps. Elle se pelotonne sous sa couette aux arômes de lavande. C’est dimanche, il est temps de souffler.

confort littérature