Contributions

Allégorie de Confort, et celle de son frère jumeau

par Charly Rodrigues

Confort, c’est cet ami que vous appréciez – chérissez même – mais que vous ne parvenez pas toujours à cerner. S’agit-il d’une amitié sincère, honnête ? Tout est dans la mesure, pensez-vous. Pourtant, nul besoin de se mentir : vous avez plus souvent besoin de lui qu’il n’a besoin de vous. Vous ne pouvez pas lui apporter grand-chose, lui en revanche soulage vos maux, parfois à outrance.

Qui est-il vraiment ? À vrai dire, tout chez Confort exprime la bienveillance. Sa corpulence un peu forte ne vous dérange pas, cela fait partie du personnage ; sa figure androgyne et son sourire vous sont irrésistibles. Son charisme vous enivre, ses paroles sont mielleuses. Bien qu’il soit peu bavard, si vous traversez la moindre contrariété, il a toujours le bon mot pour vous convaincre de le suivre ou de l’imiter. Il vous réconforte, vous console, vous calme. Selon votre humeur, vous délaissez certains de vos amis au profit de sa compagnie. Non pas que ce soit lui qui vous le demande, mais il est tellement plus facile à vivre. C’est vous ! et vous seul qui insistez pour le voir, pour être avec lui. Et lui, bien sûr, aime aussi votre présence, en toute simplicité. Il vous donne la main, vous masse si besoin, et même, vous câline – non pas amoureusement, non, mais il le fait tout de même avec le cœur, affectueusement, tendrement, d’un amour presque paternel.

Confort, malgré lui, c’est le genre d’ami qui est un peu exclusif ; il apprécie les petits groupes, certes, mais il vous préfère en tête-à-tête. Il vous isole un peu du monde. Il amortit les chocs, ou il en soigne les conséquences. Il vous voile les yeux face à ces choses que vous ne voulez pas voir, il vous obstrue délicatement les oreilles lorsqu’il devine ces mots que vous ne voulez pas entendre, il vous lance un regard connivent lorsqu’il sent qu’une réponse demandera plus d’effort qu’un modeste silence.

Un jour, vous vous rendez à l’évidence : à trop côtoyer Confort, vous voilà mou comme une guimauve, paresseux et sans envie. Vos projets ont du retard, vous avez pris du poids, et votre posture de rêveur agace votre entourage. À trop côtoyer Confort, vous rencontrez aussi, d’abord par épisodes puis de plus en plus souvent, des amis à lui : Ennui et Déni. Avec ceux-ci, Confort entame d’interminables discussions ; à force de les écouter tous les trois, ils vous rendent nostalgique et d’humeur plus lasse encore. Triste, parfois. Lorsque Dépression pointe le bout de son nez, bien que l’idée ne vous séduise pas, il est temps de changer de camp ; il est temps de revoir le frère jumeau.

Inconfort, à votre première rencontre, ne vous a pas plu. Il produit une forte impression. Il n’a rien à voir avec son frère. Souvent même, vous doutez d’un quelconque lien de sang entre eux. Inconfort est grand, noueux et bossu. Louange à l’asymétrie, son visage aux traits burinés vous fascine de par sa beauté grotesque. Ses yeux vous percent, sa voix tonne, ses gestes brusques vous agacent. Hyperactif, malhabile et maladroit, il garde pourtant un caractère autoritaire et sévère – dans ses mauvais jours –, mais sait aussi se montrer plein de bonhomie – dans ses jours meilleurs. Au fil des événements, vous avez fini par l’apprécier… à petites doses.

Inconfort vous veut du bien et il le dit. Toutefois, il ne vous fait pas de cadeau. Il s’invite quand vous ne voulez pas de lui. Et surtout, il ne se gêne pas d’inviter, quand il le souhaite, ses propres compères, comme les ingérables Indiscrétion et Hypocrisie, vipères par excellence. De toute façon, même quand il vient seul, Inconfort ne parle pas toujours très bien de vous à vos amis, devant vous s’il le faut. Non seulement il ne ment jamais, mais il se délecte de vous embarrasser, de mettre les pieds dans le plat, de dire tout haut ce que vous répugnez à entendre. Il vous bouscule, vous taquine, vous chahute ; il est même querelleur, souvent sans raison valable. Alors il vous frappe, vous agresse, vous blesse. Tous deux en venez même aux poings. Il vous pousse à bout parce qu’il se réjouit de vous voir rouge, en colère, le feu aux yeux, au cœur et à la voix. Si, au début, vous ne pouviez le supporter, aujourd’hui vous ne lui en tenez plus rigueur ; vous savez qu’il ne changera jamais ! Et vous l’aimez comme il est. Vous l’aimez bien, aussi, parce qu’il est drôle, à sa manière.

Si Confort est un éloge inavoué à l’immobilité paresseuse, Inconfort lui n’arrête pas une seconde. Il peut devenir pire qu’un enfant quand il cherche à vous affirmer son existence. Par exemple, il ne vous lâche pas tant que vous ne l’accompagnez pas au sport. Pourtant, vous savez bien que vous n’avez pas le même niveau, car lui, forcément, c’est un véritable sadomasochiste : mais vous l’accompagnez néanmoins, au moins pour qu’il se taise. Vous vous amusez bien les premiers instants, là n’est pas la question : en pleine action, il vous convainc parfois de quelques folies, et vous n’en calculez pas tous les risques. Évidemment, plus tard, il sera là, rictus aux lèvres, à enfoncer son doigt pointu dans votre chair courbaturée, dans vos blessures, sur vos chevilles foulées ou dans vos plâtres. Vous le détesterez, mais vous vous en voudrez surtout, de l’avoir écouté, d’avoir été si naïf, d’être tombé dans son énième piège.

À l’inverse de Confort, Inconfort vous intrigue et vous laisse perplexe. Après chacune de vos rencontres, bien que vous en soyez déjà sortis exténués, d’une manière ou d’une autre vous en sortez également grandis. Il vous fait réfléchir au travers de ce qu’il vous fait vivre. Mais à trop le côtoyer, vous en devenez aigri, colérique et impatient. À trop le côtoyer, vous sentez votre santé mentale et physique en pâtir. Son omniprésence vous nuirait tout autant que celle de son frère. Il est alors temps de changer de camp. En revanche, avec Inconfort, ce n’est pas vous qui le quittez, mais lui qui vous quitte, et ce, quand il le décide : il insiste pour choisir son moment, pour bien vous montrer qui commande.

Vous avez essayé plus d’une fois de les rassembler, mais Confort et Inconfort ne se parlent que peu et ne se supportent qu’à peine. Si Inconfort tente de brimer systématiquement son jumeau, Confort, quant à lui, l’ignore magistralement et ne lui concède un mot que lorsque cela devient inévitable. Frères ennemis, ils ne parviennent jamais à rester bien longtemps au même endroit de manière simultanée. L’un ou l’autre, toujours, finit par l’emporter. Alors, ils se succèdent, invariablement, sur la scène de votre vie, comme le jour succède à la nuit.
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