Contributions

Promesse

par Charly Rodrigues

Au début, je ne suis quasiment pas sorti de chez moi ; enfermé dans ma chambre, derrière les écrans ou les livres ou les bonnes excuses : boulimie de documentaires et de fictions.

J’ai saturé mon cerveau d’informations pour ne pas y penser. J’ai soigneusement évité les gens, je suppose, ou plus précisément, j’ai évité toute situation où la tentation serait trop forte. J’ai été intransigeant envers moi-même. Taciturne, adsorbé, je suis souvent allé en salle de sport, me mettre dans des états de méditation par la transpiration. Pour me persuader, chaque jour, que ma décision était la bonne.

Le premier mois écoulé, il y a un déclic qui se produit : rencontrer les gens, dire «non» sans détourner le regard, affronter la pression sociale qui entoure la chose, tout cela m’est devenu envisageable. Je suis alors confronté à une nouvelle réalité : foncièrement, je ne fais de mal à personne, pourtant mon refus dérange, interpelle. Il faut passer pour le rabat-joie, pour le sage, pour l’ingénu, pour le ringard. Il faut essuyer de petits commentaires cyniques, en apparence inoffensive, voire drôle, et qui blessent et qui déstabilisent. Certains me disent que je fais ça pour «me donner un genre». Les amis en particulier savent choisir les mots qui piquent, mais ce sont eux qui écoutent le mieux, et qui, après des explications mesurées, après des réflexions prudentes, comprennent et acceptent.

Le monde change autour de moi. Je me rends à l’évidence que je ne suis plus capable de m’amuser sans ça ; ou du moins pas de la même manière. Sans cette audace induite artificiellement, moi, et tous ceux qui résistent, nous devenons timides, indifférents, blasés. Nous rentrons plus tôt que prévu, fatigués. Le comportement des autres et de la foule nous agace. Ce n’est pas mon entourage, mais moi qui ai changé. On me reproche que je ne suis plus moi-même ; ou plutôt, «trop» moi-même. On ne me reconnaît plus. On me trouve froid, distant, silencieux. L’humour me laisse de marbre, ou pire, m’exaspère. Pour l’instant, je serre les dents et je ne lâche pas prise.

«Sans alcool, la fête est plus folle» ; voilà le mantra qui résonne dans mon crâne lorsque j’atteins le troisième mois. On cautionne mieux mes refus ; quelques-uns se souviennent que je ne bois plus, et admirent l’exploit ; peut-être un parce que j’ai minci, à tel point qu’on s’inquiète. Je ne me suis jamais senti aussi bien dans mon corps ; ça se voit, ça se ressent, et je surprends quelquefois des yeux séducteurs à mon égard. En voilà une récompense alléchante, je l’admets.
Ces trois mois symboliques, que je devrais porter comme un talisman, ne facilitent pas l’exercice. À l’horizon je ne vois que ces lèvres violettes qui s'agrandissent de plaisir au bord d’un verre de vin, ces gorges qui s’extasient en soupirs soulagés aux caresses pétillantes de la bière, ces joues qui rougissent d’ivresse, ces rires qui fusent, ces corps qui se rapprochent… tout a l’air plus simple plus spontané et même plus sincère. À quatorze semaines, je m’octroie d’abord un verre en famille ; le weekend d’après, je me saoule avec les amis. D’emblée je m’étais dit que ça ne m’avait pas manqué ; il m’a fallu très peu de temps pour jouer avec la limite de la bienséance.

Il y a une sorte d’apprentissage à refaire, dans un sens comme dans l’autre. Dorénavant, malgré les difficultés et les obstacles, je sais que j’en suis capable.

Charly Rodrigues

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